Questionnaire | Research | Back to Film Europe Mamma Roma (Italy. 1961) | Acteurs | Réalisation |
Lecture & Analyse de Séquences | Débats | Related Films |
La Catastrophe
Dans cette dernière partie le drame saccélère et les événements précipitent vers lépilogue final. Malgré les tentatives de Mamma Roma de regagner une certaine respectabilité, Carmine la obligée par la menace à retourner sur le trottoir afin déviter que son fils connaisse son passé. Cependant même ce compromis se révèle inutile : Ettore qui a appris de Bruna la double vie de sa mère, a cessé de travailler au restaurant pour se joindre à la bande de voyous.
Le thème de limpossibilité de se racheter après une vie passée sur le trottoir nest pas seulement un simple élément narratif mais dans la vision pasolinienne il semble prendre la valeur de métaphore de la condition des « opprimés », condamnés à le rester pour toujours. Lidée métaphysique et impersonnelle du sort qui persécute les marginaux,les confinant de plus en plus, malgré leurs efforts, dans une condition de souffrance et de mort, avait paru avec une efficacité dramatique dans la séquence précédente où Mamma
Roma, retournée sur le trottoir à cause des menaces de Carmine, était en train daffabuler sur son passé non plus dun point de vue railleur et grotesque mais avec des accents de vérité et de douleur. « Toi, sais-tu pourquoi mon mari, le père dEttore était un salaud ? » « Parce que sa mère était usurière et son père voleur, parce que le père de sa mère était bandit et la mère de son père mendiante tous des crève-la-faim. Avec les moyens çaurait été des gens bien Cest à qui la faute,qui est le responsable ? Et toi donc, explique-le-moi,toi, pourquoi jsuis rien du tout et toi, tu es le Roi des Rois ».
Dans limage au début de cette nouvelle séquence Ettore repousse ouvertement sa mère qui lui court après impuissante et le voit sen aller avec la bande. Le regard de la mère suit son fils avant par une prise de vue réelle, puis par une fausse prise de vue qui suit le groupe qui disparaît. Le rapport dEttore avec le groupe rappelle lun des thèmes centraux de luvre de Pasolini première manière. En effet le groupe est lun des facteurs de conditionnement le plus fort pour la personnalité faible et immature du jeune homme : les jeunes de la nouvelle banlieue forment une sorte de bande (« branco ») où le vide des valeurs et linconsistance absolue des intentions et des projets se soude au culte de la force et au comportement prévaricateur envers les plus faibles (voir la scène du viol de Bruna). Cest justement pour ces caractéristiques quil finit par exercer sur le protagoniste une sorte d « attraction fatale ».
Ettore rompt aussi avec Bruna, coupable de lui avoir révélé le secret de sa mère : lors dune rencontre furtive avec la jeune fille Ettore renie encore une fois sa mère ; cette dernière trahison semble faire allusion au triple désaveu de Pierre dans lEvangile. La figure de Bruna avait pour le protagoniste une valeur positive du point de vue affectif : Bruna est une jeune fille mère définie par la bande comme « la femme de tout le monde » ; en réalité dès la première image le réalisateur nous la décrit comme une « Madone populaire », une créature ingénue capable dêtre spontanée et de faire preuve dune tendresse corporelle envers lenfant qui laccompagne et même envers Ettore.
Les signes de la maladie dEttore sont déjà visibles. Bien que fiévreux, il décide, contre lavis du groupe, de risquer le larcin habituel à lhôpital. Pris en flagrant délit, il est arrêté et conduit à linfirmerie de la prison.
A partir de ce moment le film propose des cadences et des rappels iconographiques propres à une Passion. Dans un texte poétique extrait du recueil « Poesia in forma di rosa », composé en même temps que la réalisation du film, dont il constitue une sorte de journal en vers, lauteur lui-même semble suggérer cette interprétation lorsquil parle dune « passion populaire ».
La première « station » de ce Chemin de Croix est représentée par linfirmerie de la prison. Le milieu est blanc et essentiel, presque hiératique ; le caractère funèbre de la scène ,comme dans le vestibule de lEnfer, est clairement exprimé par une récitation, apparemment irréelle,du quatrième chant de lEnfer dantesque, de la part dun des détenus présents.
De nouveau apparaît lune des figures de style récurrentes du film : lassociation intentionnelle entre le sublime ( la Divine Comédie de Dante) et linfime ( les visages des détenus). Dune façon complètement injustifiée et inattendue un des personnages entonne lair du « Violon tzigane ». Cette mélodie, si étroitement liée à la figure de la mère, provoque chez Ettore une crise convulsive violente accompagnée de délire, qui oblige le personnel médical à lattacher au lit.
La scène successive, ouverte par la musique de Vivaldi évocatrice de douleur et de pitié, montre Ettore clairement « crucifié » sur le banc en bois de sa cellule comme un nouveau Christ des faubourgs. Le commentaire musical , tiré du Concerto en do majeur de Vivaldi, exprime avec un pathos intense et contenu le thème de la pitié, une pitié universelle qui rapproche et plaint toutes les victimes de la souffrance. Dans dautres endroits du film la musique de Vivaldi souligne les séquences les plus dramatiques en introduisant le thème du destin et en accompagnant à travers un contraste intentionnel les aspects sordides de lexistence avec un commentaire sublime..
Les images, dune grande intensité dramatique, sont pleines de rappels picturaux. La perspective sur le corps gisant du jeune homme rappelle le Christ Mort de Mantegna, malgré les dénégations explicites de Pasolini. La scène montre le jeune homme étendu sur une sorte de lit, pieds et poings liés, regardant dans le vague. Sur le visage du fils on retrouve le même tragique et la même douleur qui caractérise le visage du Christ Mort de Mantegna. Dans limage, comme dans luvre picturale, ce qui ressort cest lhorreur pour la mort vue comme la fin de tout ce quil y a de positif dans la vie et la pitié pour le martyre du jeune.
La lumière qui passe à travers la grille rappelle en outre le jeu luministe dans le tableau de Raphaël représentant Saint Pierre en prison. Les mots murmurés par Ettore pendant son agonie sont une plainte et une invocation adressée à sa mère, retrouvée au point de mort.
Entre le fils et sa mère désormais de plus en plus elle aussi la Mater Dolorosa de la Passion- se rétablit une sorte de dialogue à distance. Le cadrage successif-un tout premier plan d Anna Magnani avec de forts clairs-obscurs- est une image dune essentielle intensité tragique, qui condense en soi le cur dramatique et existentiel de lhistoire.
La récitation passionnée de lactrice constitue sans aucun doute lun des points forts du film, au-delà de la volonté et des intentions du réalisateur qui aurait peut-être préféré une interprétation moins naturaliste. Limpact dramatique du personnage est par ailleurs une émanation spontanée du tempérament et de la sensibilité de récitation dAnna Magnani qui a donné une épaisseur et une profonde humanité à toutes les figures féminines quelle a interprétées au cours de sa longue carrière à partir de la saison du cinéma
Néoréaliste. Dans le film donc les accents franchement populaires de la récitation de la protagoniste alternent avec des accents tantôt grotesques tantôt symboliques dautres séquences.
Dans les dernières scènes les rappels au sacré se multiplient :le pain rompu par la mère, la charrette quelle traîne péniblement comme la croix dun moderne Chemin de Croix, la tentative de la consoler du Bon Samaritain sous lapparence dun homme du peuple (« Cest de leau qui passe, de leau qui passe » se référant aux tribulations de la vie), le chur des figures souffrantes qui accompagnent la mère a lannonce tragique de la mort. Le commentaire musical prend les tons solennels dun requiem. Dans ces images le christianisme populiste et hétérodoxe du réalisateur se manifeste :on peut trouver un rappel explicite à ces dernières scènes dans certains vers du recueil « Poesia in forma di rosa » : « Poi visione. La passione popolare/(una infinita carrellata/con Maria che avanza,chiedendo in umbro/del figlio, cantando in umbro lagonia) ».
Lépilogue voit Ettore raidi par la mort et Mamma Roma , bouleversée par la nouvelle, qui court désespérée, suivie par les gens du peuple qui sont près delle, vers la maison, pour accomplir un geste extrême. Cette image est une évidente citation cinématographique tirée dun des films les plus significatifs du néoréalisme italien »Roma città aperta » de Roberto Rossellini, où la même actrice se lance dans une course désespérée avec un effort extrême pour essayer darracher lêtre aimé aux nazis.
A travers la fenêtre ouverte, doù la protagoniste essaye de se jeter, on voit une dernière fois la Rome désolée des faubourgs. ( encore de »Poesia in forma di rosa » : " Sono altari/queste quinte dellIna Casa,/in fuga nella Luce Bullicante,/ a Cecafumo. Altari della gloria/popolare). Ce photogramme apparaît surtout dans la dernière partie du film comme une charnière et une coupure entre les diverses séquences, peut-être pour confirmer à lintérieur de lhistoire le rôle souterrain de la ville, à la fois mère et marâtre, toile de fond impassible et indifférente de lirrationalité des vicissitudes humaines. Comme un monument de la dégradation urbaine produit par le boum économique , la nouvelle Rome est à la fois lexpression de la déchéance morale et de linsignifiance des existences qui sy déroulent.
La dernière image, arrêtée par le regard halluciné dAnna Magnani, conclut le film, peut-être pour suggérer que la ville même, avec ses inextricables contradictions, est de quelque façon une autre protagoniste, le théâtre qui rend possible linexorable enchaînement des événements.